Un homme dans la ville

Vous avez un petit peu trop de sucre » m’avait annoncé, il y a une petite année, feu mon médecin.  Moins de crasses le soir et plus d’exercice, pas seulement le week-end mais aussi en semaine ! Aller à St Jacques de Compostelle ?  Dans une autre vie peut-être !  Après un peu de recherches, je suis tombé sur la Promenade Verte, balade à pied ou à vélo autour de Bruxelles qui, sans quitter le territoire des 19 communes, permet de découvrir autrement sa ville.

Rue Bollinckx à Anderlecht, rive droite de la Senne qui, quelques mètres plus loin, coule à ciel ouvert.

Du parc de Laeken à la réserve naturelle du Zavelenberg en passant par le petit parc du Doolegt, les étangs Mellaerts, la « hêtraie cathédrale » de la Forêt de Soignes, le site du Keyenbempt ou encore les étendues du Scheutbos, Bruxelles, trop souvent taxée de « cité administrative », regorge de trésors naturels. Pour preuve, elle se compose de 50 pc d’espaces verts, une valeur ajoutée que bien d’autres capitales lui envient.

 

Nous ne sommes pas en Finlande mais à l’entrée Nord du Scheutbos à Molenbeek à la frontière avec Berchem Ste Agathe.

 

Je me suis donc fixé comme objectif de faire toute la promenade en 2010 et il m’a fallu +/- 10 sorties pour arriver au bout des 60-65 kms.  C’est une occasion unique de découvrir d’autres sites remarquables au fur et à mesure de la promenade : divisée en sept tronçons de 5 à 10 km, la Promenade verte traverse Bruxelles de part en part, du nord au sud et de l’est à l’ouest, faisant oublier aux piétons et cyclistes l’effervescence de la ville, au gré tantôt du silence de sentiers solitaires, de parcs ou de profondes vallées tantôt du chant des oiseaux, du frou-frou des cours d’eau ou du dernier souffle d’anciens sites industriels.  La Promenade verte passe le plus possible en espaces verts et cheminements favorables (38 km), mais naturellement, elle passe aussi par des voiries (24 km).

 

Bruxelles vue de la campagne du Pajottenland, à quelques encablures de la Cité Bon-Air (de l’autre côté du Ring Ouest).

Cette promenade verte est un des fers de lance de Bruxelles Environnement et s’inscrit dans le contexte plus large de développer un maillage vert et bleu dans la capitale : créer des espaces verts là où il en manque.  Les relier par des rues plantées.  Faire revivre les rivières et leurs eaux claires.  Offrir aux citadins des ambiances diverses où ils pourront choisir, selon leur humeur, le calme, la nature, la convivialité ou les jeux d’enfants.

Image d’Epinal : les Etangs de Boitsfort vus depuis le domaine des Silex

Pourquoi marche-t-on ?  J’emprunte à Jacques Barozzi dans son introduction au Goût de la Marche, publié au Mercure de France: Pour saisir des tableaux de vie (principalement en ville), des paysages et des horizons nouveaux, pour le dépaysement, de dépassement de soi, l’épreuve, la connaissance du monde et de soi-même …  Tout à la fois stimulante et consolatrice, la marche n’est-elle pas le meilleur moyen pour l’homme d’oublier (ou de réfléchir à) où il va ?

Alors, que dire au bout de cette année de marche à la périphérie ?  Qu’est-ce qui m’a frappé et qu’est-ce que j’ai rencontré ?

1. La plupart du temps, j’ai marché seul et je n’ai rencontré personne.  Cela convient peut-être à mon caractère.  Petite pensée émue pour Jean-Jacques Goldman.
2. La réflexion qu’on mène à Forest n’est pas celle qui vous guide à Boitsfort, à l’orée de la forêt.  Le maillage vert dans un quartier d’usines ou de chancres industriels ?  J’ai peur que ce ne soit qu’un vœu pieux.  Mais ne boudons pas notre plaisir: chez nous le progrès écologique en matière d’espaces verts a été considérable depuis 25 ans.
3. Le génie de Léopold II apparent tout au long de la promenade à l’Est de la ville (la percée de l’avenue de Tervueren et celle du boulevard du Souverain).
4. Le contraste entre la quête romantique de nature apprivoisée qui plaît tant à la bourgeoisie et les coins beaucoup plus sauvages et « plus nature » des pampas à l’Ouest (Scheutbos) et au Nord (marais de Ganshoren et de Jette).
5. La beauté ou la laideur de nos cités jardins (entre autres à Boitsfort, Uccle et Anderlecht) qui sont aujourd’hui englobées dans la ville et ont donc passé du statut de « ville à la campagne » à celui de « campagne dans la ville ».
6. Les hôpitaux universitaires (Erasme à l’Ouest, St Luc à l’Est et l’Universitaire Ziekenhuis au Nord) qu’on loge à la périphérie pour des raisons d’accessibilité et de coût, et parce qu’il n’y a évidemment plus de place au centre-ville.
7. Et puis tous les morts qui au 19^ème siècle ont commencé à prendre trop de place dans la ville et qu’il a fallu déterrer (sic !) et reléguer dans de nouveaux cimetières à la périphérie (le Cimetière de Bruxelles par exemple).

Vision cruelle de ce qui existait dans toutes les capitales du monde : les riches au centre et les moins riches à la périphérie.  Mais cet apartheid n’a qu’un temps : tous finissent par se retrouver, peut-être à l’hôpital, en tout cas au cimetière s’ils choisissent de ne pas partir en fumée ! Moralité plus que jamais: Carpe Diem !

Allez, je vous sers encore une photo pour chacun des sept tronçons définis par Bruxelles-Environnement.  Pour que vous puissiez apprécier comme elle a été verte ma promenade:

1. Le plateau du Heysel  et les parcs royaux.  Surplombant son petit cousin, le Pavillon Chinois, la Tour Japonaise … deux folies de plus de notre deuxième roi des Belges !

2. Entre Senne et Woluwe (communes de Schaerbeek, Evere et Woluwe St Lambert). Dans le Cimetière de Bruxelles, le monument aux morts allemands (sic !) tombés pour leur patrie.

3. La vallée de la Woluwe.  Ce cloître était rouge !  Nom donné au site dès 1380 et qui viendrait du mortier rouge qui recouvrait alors les murs des bâtiments communautaires.  A moins que l’origine soit néerlandaise et provienne du verbe rooien: déterrer, arracher (à la forêt).

4. La Forêt de Soignes et le sud d’Uccle. Couleurs scandinaves sur le plateau d’Engeland, dans les hauteurs d’Uccle.

5. Entre Geleytsbeek et Vogelzangbeek (Forêt et Anderlecht jusqu’à Érasme).  A Anderlecht, derrière Ikea, rue de Zuen c’est la zone !

6. Le Pajottenland (Molenbeek et Berchem Ste Agathe).  Toilettage du manteau blanc un dimanche matin tôt à la Cité de Moortebeek, boulevard Shakespeare, derrière le Westland Shopping Center.

7. La vallée du Molenbeek (Ganshoren et Jette jusqu’au plateau du Heysel).  Reconversion en lofts d’une usine le long du Parc Roi Baudouin à Jette.

And the winner is … La vallée de la Woluwe et en particulier la promenade de l’ancien chemin de fer Bruxelles-Tervueren.  Médaille d’argent pour la Forêt de Soignes et le sud d’Uccle.  Médaille de bronze pour le Pajottenland.

Quelques autres digressions recommandées par rapport à l’itinéraire officiel:

1. La station de tram De Wand et ses fresques murales
2. La gare de Schaerbeek
3. Le parc de Woluwe
4. Le domaine des Silex (ouvert uniquement le samedi !) et le Parc Tournay-Solvay
5. Le vieux Berchem Ste Agathe

Le tronçon entre Geleytsbeek (Drogenbos) et Vogelzangbeek (Erasme) offre moins d’intérêt.  Par ailleurs, marcher de la Tour japonaise à la gare de Schaerbeek n’est pas la promenade la plus excitante.  Prenez le tram 23 jusqu’à l’arrêt Princesse Elisabeth près de la gare de Schaerbeek !

Le siège de toute cette matière se trouve ici.  Les info-fiches de Bruxelles Environnement sont extrêmement didactiques et s’obtiennent sous format pdf ici.

Finalement, comment ne pas citer l’excellent Bruxelles en vert – le guide des jardins publics de Thierry Demey publié aux Editions Badeaux ?  Vous saviez évidemment qu’il y a à Bruxelles 94 parcs publics de plus d’un hectare.  Ce guide prodigieux de plus de 550 pages, réédité en 2010, contient des fiches descriptives très bien faites et, surtout, une longue liste de promenades en boucle.  Très beau cadeau de fin d’année.