Jérusalem

Retour à Jérusalem, aux abords des remparts, côté Est de la vieille ville. L’autobus nous dépose vers 8 heures dans la vallée du Cédron devant la basilique de l’Agonie. C’est ici, dans les jardins de Gethsémani, que Judas Iscariote, sans doute pressé par ses créanciers, a commis l’irréparable. Quelques oliviers multi centenaires autour de l’église valent un rapide coup d’œil mais le mieux est de semer les hordes, grimper les pentes très raides d’une route étroite et ensuite longer l’impressionnant cimetière séfarade du Mont des Oliviers. Se hâter lentement tout en prenant de la hauteur. Un peu long comme devise mais, pour ce qui nous attend, cela convient parfaitement.

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Avec les années qui passent, on tente de voyager « plus léger » et de laisser chez soi la collection complète de ses préjugés. Mais ici, dans un premier temps, les bienfaits de la Raison ne vous seront d’aucun secours. Suspendez donc votre incrédulité et prenez sur vous d’assumer une condition judéo-chrétienne. Isolez ensuite les variables (faites l’impasse sur le Nouveau Testament) et focalisez-vous sur Isaïe, Ezéchiel ou, encore mieux, Daniel. Qui nous enseignent que c’est sur cette colline que devrait avoir lieu, à la fin des Temps, la cérémonie de clôture de nos jeux sur Terre.

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Les Juifs pratiquants ont toujours rêvé de mourir à Jérusalem et d’y être enterrés, de préférence au Mont des Oliviers, parce qu’ils souhaitent figurer en ordre utile dans les rangs du Messie, le jour de la résurrection des corps et des chairs. Mais il n’y aura pas de place pour tout le monde et comme ils ne croient pas aux vertus de l’incinération, il faut sans cesse trouver de nouveaux espaces pour parquer les morts et construire de nouvelles nécropoles, quitte à empiéter chez les voisins.

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Voilà on n’aura pas réussi à rester longtemps dans le religieux : nous sommes à Jérusalem-Est, à quelques encablures de Bethlehem, dans des territoires que l’Etat d’Israël conquiert petit à petit et la politique reprend vite ses droits :

  • « Mais nous n’empiétons pas, nous avons toujours été ici chez nous, au centre de deux régions contigües, la Judée au sud et la Samarie au nord ».
  • « Vous avez bluffé tout le monde en ramenant tout à Sion et beaucoup à la Shoah ».
  • « Vous avez voulu nous anéantir alors que nous avons le droit d’exister ».
  • « Nous n’existons plus parce que vous nous avez anéantis ».

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Et c’est sans fin. De temps en temps, il y en a un qui sort du lot : Sadate et Rabin, pour ne pas parler des nombreux hommes et femmes de bonne volonté sur le terrain.  Il ne nous reste plus qu’à faire demi tour, redescendre par où nous sommes montés et, un peu plus bas, prendre à droite pour aller pleurer toutes les larmes de notre corps dans la propriété de la très catholique Dominus Flevit. Entrez dans la chapelle et recueillez-vous face à l’autel devant le vitrail qui donne sur l’Esplanade des Mosquées (à l’intérieur de la ville de l’autre côté de la vallée) et la coupole étincelante du Dôme du Rocher. C’est ici que se cristallisent toutes les tensions entre les trois religions du Livre :

  • Avant d’abriter des mosquées, le site a été celui des deux Temples hébraïques : un premier érigé par Salomon au 10ème siècle avant JC et détruit en 587 Av JC par Nabuchodonosor, roi de Babylone, et le second, reconstruit au même endroit après le retour des Juifs de captivité, et rasé en 70 par Titus, empereur à Rome. Quelques illuminés américains parlent de construire un troisième temple … Il y a effectivement de quoi pleurer.
  • Le site du Temple est mentionné régulièrement dans le Nouveau Testament. Il aura une valeur symbolique pour les barbares francs aux temps des croisades mais ne fait pas l’objet de revendications particulières par le « Christianisme ».
  • Lors des premières conquêtes musulmanes au 7ème siècle, les Arabes ont érigé la mosquée d’Al Aqsa, à côté du Dôme du Rocher qui abrite « le Rocher de la fondation ». Nous sommes ici sur un des principaux lieux saints de l’Islam: Mahomet serait arrivé depuis La Mecque lors d’un voyage nocturne où il serait monté au paradis en chevauchant sa monture.

DSCF4222Etape suivante intra-muros: promenade sur les toits du Temple de David – on croit que c’est le Temple de David mais certains archéologues ne sont pas convaincus – où nous croisons les dernières très jeunes recrues de Tsahal armées jusqu’aux dents. Elles écoutent religieusement un instructeur beaucoup plus âgé qui leur explique le contexte historique des lieux qu’on leur demande de patrouiller. Ils discuteront aussi de la marche à suivre en cas d’insurrection palestinienne. Une seule consigne : ne pas faire dans la dentelle. La veille, ça avait été un peu chaud sur le Mont des Oliviers et nous étions arrivés dans les faubourgs de Jérusalem dans ce que nous pensions être un climat insurrectionnel.

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Mais notre guide, lieutenant dans l’armée, nous a « rassurés » : il n’y avait pas de quoi fouetter un chat et ce type d’incident (mort d’un énième Palestinien à un des nombreux Checkpoint autour de la Ville) relevait ici plutôt de la rubrique des chiens écrasés. Mis les pieds dans une Yeshiva où les plus orthodoxes des Haredim (les Juifs ultra orthodoxes) s’entraînent pour les prochaines olympiades de la Torah. Stressant.

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Richard Lebeau, notre guide, attire notre attention sur l’utilisation de l’archéologie comme arme politique. Dès qu’il y a la moindre possibilité de considérer qu’un site mérite d’être exploité sur le plan archéologique, le pouvoir en place monte dans les tours, ouvre des lignes de crédit et procède à de vastes opérations d’expropriations et de relogements de personnes dont les ressources financières sont marginales. Il s’agit le plus souvent de familles palestiniennes …

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Déjeuné ensuite dans le quartier arménien. Bien content de souffler une heure après cette première matinée plutôt sportive. Pourquoi visiter Israël et Jérusalem ? J’aimerais vous dire que c’est parce que ce pays représentait dans les années 1970, celles de ma jeunesse, l’avenir du monde, et où il n’était pas encore question de crises d’identité. Mais là je triche, j’emprunte à Jack Lang relatant dans le Dictionnaire Amoureux de François Mitterrand le contexte d’un discours de son président à la Knesset en 1982 : Ceux qui ont lutté contre le nazisme, qui ont assisté à la libération des camps de la mort ont vécu, comme une évidente réparation, la naissance d’Israël. Dans les années 1970, Israël fascine la gauche démocratique. La vie en kibboutz intrigue et intéresse. L’égalité homme-femme, jusqu’au sein de l’armée, enthousiasme … Israël a droit à l’existence et la sécurité. Les Palestiniens doivent pouvoir décider de leur sort. Eux aussi ont droit à un territoire et bientôt un état. Entre Israël et Palestine, on ne peut choisir. Il faut que la paix finisse par être avec eux deux. Entre gens raisonnables, il devrait y avoir moyen de s’entendre. Il me semble que cela valait le voyage. L’espoir fait vivre.

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Après-midi classique où nous ferons le parcours des combattants de la Via Dolorosa. Nous croisons, comme Mathias ENARD dans Zone (2008), des pèlerins paralysés, des manchots, des unijambistes, des culs-de-jatte, des curieux, des bigots, des touristes, des mystiques, des illuminés, des borgnes, des aveugles, des prêtres, des popes, des pasteurs, des moines, des nonnes, tous les habits, toutes les congrégations, des Grecs, des Arméniens, des latins, des Irlandais, des melkites, des syriaques, des Ethiopiens, des Allemands, des Russes …

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 Mais oui Jérusalem n’est pas seulement juive et palestinienne puisqu’elle expose aussi, et de manière éclatante au Saint Sépulcre, toutes les divisions et contradictions de la religion chrétienne. Je ne sais pas ce qui était le plus comique : soit d’avoir suivi une troïka russe guidée pour le salut de leurs âmes – à quel prix ? – par un moine ressemblant à s’y méprendre à l’arrière-petit-fils de Raspoutine ou encore le spectacle des Franciscains courant de chapelle en chapelle dans le Saint des Saints parce que le Saint Sépulcre c’est Berlin après la guerre et le temps que chaque congrégation peut occuper les lieux est sévèrement minuté. Pour mettre toutes les factions d’accord, c’est une des vieilles familles palestiniennes de la ville qui gère les horaires d’ouverture et de fermeture. Pas comique du tout ce sont les photos des martyrs coptes exterminés récemment par des hommes cagoulés et qu’on découvre en entrant sur le site par le toit de l’église.

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Beaucoup plus indiqué pour le repos des âmes est l’église catholique Sainte Anne, toujours intra-muros dans le quartier musulman. C’est ce que l’art Roman offre de mieux : le site, territoire français géré par les Pères Blancs, est charmant et si on ne peut pas parler à l’intérieur de l’église on peut néanmoins s’asseoir dans la fraîcheur, se reposer un court moment, prier, méditer, penser ou écouter les autres chanter.

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Voilà le jour tombe, nous devrons dans les jours qui viennent visiter l’Esplanade des Mosquées, passer par le mur où les Juifs orthodoxes ne se lamentent pas mais prient tout simplement, visiter le musée d’archéologie et nous perdre dans le dédale magique et inquiétant de la vieille ville. Laissons le mot de la fin à Mathias ENARD, toujours dans Zone (2008) : Et quand il n’était pas trop occupé à se battre pour des queues de cerise, tout ce beau monde pleurait la mort du Christ sur la croix, les juifs pleuraient leur temple, les musulmans leurs martyrs tombés la veille et toutes ces lamentations montaient dans le ciel de Jérusalem étincelant d’or au couchant.

A propos newdavid

La vie est un long fleuve tranquille
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6 commentaires pour Jérusalem

  1. J LAVIOLETTE dit :

    merci mille fois David, quel plaisir de te lire et de m’enrichir par tes récits passionnants j’avais perdu tes coordonnées – quelle excellente surprise de relire ton blog sur l’IRAN qui m’avait laissé un si bon souvenir avec notre passionnantguide     En juin 2015, je suis allée, avec Intermèdes, visiter  Jérusalem avec une guide  belge Catherine Vanderhaeghe, (très chaleureuse)tu as raison cette ville on l’aime et on la déteste – le but du voyage était l’opéra TOSCA à MASSADA au pieds de la forteresse en plein désertce fût  « GRANDIOSE »A Jérusalem, j’ai « modestement » pris la même photo que toi, qui est tout un symbole !!!!!!    je te l’envoie…….. Je vais au Japon début avril Au plaisir  de continuer à te lire, tu es une personne rare que j’ai eu  plaisir à connaîtreMon bon souvenir à ta charmante femme et au couple qui vous accompagnait en IRAN (belle soeur, je crois ?) Très cordialementBises à vous deuxJanie LAVIOLETTENANCY

  2. Elinor dit :

    Qu’est ce que cette ville me manque! Merci pour cet article qui m’a fait voyager!

  3. Jean Rosenfeld dit :

    Cher Monsieur Allan, je viens de découvrir, avec grand plaisir, que vous êtes non seulement un homme de chiffres remarquable mais aussi un homme de lettres hors du commun. Je connais bien Jérusalem et vous l’avez « croquée » en finesse et justesse.
    Grand merci pour ce moment rare.
    J.R.

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